La politique aujourd’hui se réduit à trouver des solutions à des questions d’ordre technique ? Depuis la fin du XIXème siècle, l’Etat recherche la stabilité et la croissance du système économique et tente d’éliminer les dysfonctionnements du système de libre circulation des échanges.
Tout se passe comme si la rationalité scientifique et technique s’était étendue à l’ensemble de la vie sociale, puis politique. La mise en retrait du débat politique au profit du traitement technique des dossiers provoque une désinformation civique des citoyens et leur éloignement du champ politique.
La politique n’a plus de fins, plus d’horizons traduisible en terme de relations qu’il faudrait établir ou rétablir entre les êtres humains. L’action de l’Etat se limite à des tâches techniques solubles de façon administrative.
Dès qu’un ou une politique exprime un système de valeurs, le monde entier se précipite pour lui demander son programme technique de guidage du système économique ou social !
En réalité, cette technicisation des problèmes politiques accélère la dépolitisation de la grande masse de la population. Les dossiers et langages techniques échappent à l’entendement de la plupart des citoyens, de bien des députés … et parfois même, de ministres ! De la même façon, le droit et son application de plus en plus complexes, exigent le déchiffrage et le traitement d’un expert : le juriste technicien. On en oublierait presque la notion de justice. Le plus grand nombre pense aujourd’hui que la croissance économique et, de fait, le système social, dépendent des progrès scientifiques et techniques. Cette dynamique du progrès oblige l’Etat à se conformer à une politique fonctionnelle. Pourtant, nous réalisons que ces équilibres dépendent des matières premières, des sources d’énergie.
Le résultat de ce processus de dépolitisation ? Une disqualification de tout processus de formation démocratique de la volonté politique et la montée en puissance d’une élite : les experts techniques.
Donc, le discours politique sous forme de projet s’est effacé devant le discours technique qui échappe souvent à toute discussion publique.
La science s’affirme donc comme un outil de légitimation du pouvoir politique aussi importante que le vote. En bon gestionnaire, on s’entoure pour gouverner d’économistes auréolés de l’aura des sciences et techniques. Mais ce mouvement s’accompagne d’une délégitimation du législatif. La légitimité de ce dernier repose sur la représentativité par rapport à l’exécutif, lequel pense fonder la sienne sur la compétence, l’expertise … Kafkaïen !
Dès lors, comme le pressentait J. Habermas *, trois modes décisionnels sont possibles :
- Soit, le politique prend connaissance des faits, des données, puis décide. Mais sa décision relève de l’arbitraire puisque ses critères reposent sur des valeurs qui ne se prouvent pas scientifiquement.
- Soit, les informations des spécialistes suffisent pour opérer des choix politiques à la rationalité strictement technique ! Le politique disparaît du champ de l’action politique.
- Soit, on établit que les données des experts ne suffisent pas au choix et que la rationalité politique réside dans le croisement des informations techniques avec le débat démocratique. Avec toute ce que cela comporte de pédagogie ou de propagande … Malgré tout, c’est le processus le plus compatible avec la démocratie.
Nous, Mouvement Démocrate, souhaitons placer les valeurs humanistes au centre de la société. Nous avons senti que cette déshumanisation du politique débouchait sur des dysfonctionnements d’ordre moral ou éthique. Nous avons constaté qu’elle détournait les citoyens de l’agora politique. Il n’est donc pas étonnant que nous nous heurtions à de telles résistances ! Résistons, nous mêmes et armons nous de courage pour travailler sur les nouvelles formes de dialogue avec la population et ses relais. Celles qui permettraient à l’Etat de prendre des décisions équilibrées, de mettre en œuvre un projet global qui associe les valeurs universelles aux éléments techniques de gestion attachés à nos sociétés modernes.
Anne Lacaille
* Philosophe et sociologue Allemand né en 1929
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