Vous n’avez pas connu ces femmes qui quittaient nos contrées législatives pour aller se faire avorter à coup de couteaux. Vous n’avez pas connu ces femmes qui se faisaient charcuter au risque de ne plus pouvoir procréer, au mieux, et, au pire, en mourir. Vous n’avez pas connu leur honte, leur douleur d’avoir perdu leur intégrité, la douleur de leur corps, la douleur qu’est celle de l’avortement. Vous n’imaginez pas leur solitude, pas plus que je ne puis l’imaginer. On ne parle pas de ces choses là avec légèreté. On ne juge pas à l’emporte-pièce comme on dirait d’un tel qu’il a les cheveux gras.
La loi de 1974 n’a ni morale ni philosophie en elle. Elle n’avait pour seule prétention que d’apporter une solution à un problème de santé publique. Gardait-on encore les yeux clos face à ces gestes barbares qui se cachaient de la loi ? Laissait-on les pupilles de la nation s’effacer d’une petite mort, appliquerait-on encore la double peine ? Jouerait-on encore longtemps la basse comédie humaine de l’hypocrisie ? Simone Veil, ministre du gouvernement de Jacques Chirac, sous Giscard, en avait décidé autrement. Il fallait que cela cesse. La loi qui allait voir le jour se posait, non pas en morale, mais en loi de santé publique.
Car si les tribunaux étaient assez cléments avec l’avortement au 19ème siècle et début du 20ème (et même autorisé de la révolution à Napoléon qui l’interdit à nouveau), ce ne fut plus le cas après la seconde guerre malgré le baby boom. Les années 45-50 virent beaucoup de condamnations s’établir, allant jusqu’à la peine de mort. Malgré cela, l’avortement a toujours existé et en nombre. Malgré la loi. C’est pourquoi, dans l’élan de l’émancipation de la femme et de son indépendance, les années 1970 allaient voir, de façon réaliste, cette question de santé publique. L’Etat n’a pas intérêt à voir les enfants de la nation mourir ou devenir stériles. Le cynisme cruel de la réalité est qu’il coûte suffisamment cher à l’Etat d’élever un homme ou une femme pour éviter de le voir dépérir. Après d’autres pays, la France légiféra donc. D’abord pour des conditions particulières, puis, de manière plus large, celles qui ressemblent à ce que nous connaissons actuellement. Et qu’observe-t-on depuis ? Si la souffrance psychique n’a pas disparu (il est toujours douloureux pour une femme d’avoir recours à l’IVG. Pour chacune d’elles, c’est une tragédie, et souvent aussi pour le garçon. On avorte pas comme on mâche un chewing gum contrairement à ce que certains pensent par ignorance.), les conditions sanitaires nouvelles ont permis de mettre fin aux nombreux malheurs qui s’ajoutaient à d’autres. Par ailleurs, la loi n’a pas fait augmenter le nombre d’IVG, contrairement aux idées reçues. Et, selon des études, le fait de l’interdire à nouveau ne ferait pas baisser le nombre des actes d’interruption volontaire de grossesse. D’un point de vue de santé publique, les progrès sont à ce niveau, fortement notables. Malgré tout, il est évident d’avoir le souhait que le nombre d’IVG pratiquées chaque année diminue le plus possible, alors qu’il est finalement resté stable. Et ce d’abord pour limiter ces tragédies aux jeunes femmes et jeunes couples qui découvrent les affres de la vie par cette douloureuse expérience. Il s’agit de faire des efforts de prévention. Ce n’est pas les cours d’éducation sexuelle à de jeunes collégiens boutonneux et mal dans leur peau que nous ferons avancer le schmilblick.
Cette loi a été instituée dans l’esprit de faire passer en priorité la femme, sa santé psychique et physique. À ceux qui crient à hue et a die le droit à la vie de morula (nom de ce qui deviendra l’embryon), ils devraient se renseigner sur le devenir d’un enfant non désiré. Il est généralement piteux aussi bien dans le domaine de la santé physique que psychique. Malgré tout, il rivalise avec les meilleurs dans le secteur de la précarité et de la douleur. Alors, certes, sur le point de vue moral, religieux, ou philosophique, il est d’un débat sans fin (mais intéressant) de se poser la question de savoir quand commence, réellement, la vie, la naissance de l’individu. Pour le droit, pour la philosophie des lumières, il commence avec la naissance. Pour l’Eglise catholique, le potentiel d’une conscience est mis en avant comme critère et ainsi la personne existe dès la fécondation (rencontre du papa spermatozoïde avec maman ovule). Tout cela est très intéressant et demeure sans réponse.
En attendant, ce n’est pas la bible mais la loi qui gouverne notre société, en attendant ce sont des femmes qui souffrent et nous préférons soigner celles-là plutôt que de déblatérer des idées (certes intéressantes) qui ne connaissent nulles réponses. Nous préférons sauver ces femmes plutôt que des incertitudes. Ces incertitudes nous vivons avec. Nous essayons de suivre le précepte de Kant : "On mesure l'intelligence d'un individu à la quantité d'incertitudes qu'il est capable de supporter."
Nous essayons simplement d’être intelligents et, oserais-je dire, humanistes.
Le débat ne doit donc pas avoir lieu sur la suppression ou non de l’IVG (nous pourrions recommencer avec toutes les grandes lois votées, comme celle de la peine de mort alors…) mais sur les outils que nous avons d’en diminuer le nombre en faisant appel à la prévention et à l’éducation de chacun. Car, il n’est pas toujours facile à l’adolescence d’en parler, car, il arrive parfois, dans la vie, de se tromper, de faire des erreurs. Devrions-nous les condamner deux fois ?
Virignie Votier Nicolas Bonfils
|